La fille à la moto ou les rêveries nocturnes d'Ōji Suzuki

Ōji Suzuki est repéré par l'équipe de l'illustre revue d'avant-garde du gekiga Garo, au sein de laquelle il gagne ses galons. Durant les années 1970, il publie massivement ses mangas sur un rythme mensuel et devient un des auteurs les plus éminents de la revue. En 2022, les éditions Atrabile publient un recueil en français.

La fille à la moto

Réalisé en 1973, La fille à la moto, qui donne son titre à l'album, ouvre ce volume rétrospectif composé de neuf récits. Comme un préambule, il donne le ton en mettant en scène une adolescente aux aspirations libertaires. Défiant la loi et les stéréotypes de genre, son escapade à moto prend progressivement une dimension lyrique, faisant place aux paysages tirant vers l'abstraction. De cette expérience immersive avec la nature va naître un épisode onirique avant que le récit ne reprenne pied dans le réel.  

Ōji Suzuki © Atrabile

Se substituant à la fille à la moto dans ses récits ultérieurs, Ōji Suzuki prend ensuite la route de l'autofiction en racontant sa jeunesse, sa découverte de Tokyo où il mène un mode de vie bohème et dissolu, caractéristique de la sphère étudiante contestataire de l'époque. On suit ses déambulations dans l'hyper contre-ville de Shinjuku, haut-lieu de la vie nocturne tokyoïte sur laquelle il jette une lumière crue. "J’abandonnais une âme et un corps grelottants...Pour aller chercher les rayons de soleil de l’imaginaire...".

De divagations d'hommes alcoolisés en promenades nocturnes, la nuit est le royaume du mangaka solitaire. Au milieu des nuits d'ivresse et des rixes sans queue ni tête qu'on aurait aimé plus synthétiques, affleurent quelques touches surréalistes. Des personnages s'évaporent du récit aussi vite qu'ils apparaissent. Femme-renarde, homme acéphale, fantôme de l'opéra, lutins guitaristes, prophète ou funambule peuplent les rêveries et les hallucinations du narrateur. 

Ōji Suzuki © Atrabile

Navires

Dans le récit Navires, un enfant à la recherche du quartier "où vivent les rêves" part dans un voyage sans destination, sans début ni fin. Celui qui "n'avait foi qu'en l'imaginaire", et se rêvait marin de haute mer et mangaka entre dans un dialogue avec ce qui s'avère être son double à l'âge adulte. L'espace-temps ne s'encombre plus de rationalisme et l'émotion prend son envol, ponctuée de pensées nébuleuses semblables à de courts poèmes célébrant l'évanescence du monde.

La singularité du graphisme d'Ōji Suzuki, qui alterne entre expressionnisme strié de hachures brutes au style audacieux et abstraction hypnotique, fait écho aux souvenirs du mangaka rêvant de se perdre dans une nuit sans fin.  

Ōji Suzuki © Atrabile


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