Un visage familier : sous les couleurs acidulées, une dystopie technocrate

Michael DeForge © Atrabile  

 

Neuvième ouvrage de Michael DeForge traduit aux éditions Atrabile, Un visage familier a reçu le Fauve de l'Audace au festival d’Angoulême 2022. Auparavant, l'auteur et illustrateur canadien avait déjà été récompensé par cinq prix Ignatz pour la série Lose et En toute simplicité (Very Casual), faisant de lui un des piliers de la scène alternative de la bande dessinée nord-américaine. 

La narratrice, une employée gouvernementale travaillant au département des plaintes, se contente de les lire sans jamais y répondre ni régler les litiges car c'est sa fonction. Celle-ci évolue dans un monde dystopique où tout fonctionne via d'incessantes mises à jour technologiques censées "constituer une amélioration". Ainsi, les routes peuvent changer de direction, les villes se transformer en un clin d’œil et les habitants changer de corps ou de visage chaque matin, tels des métamorphes. Au lendemain d'un nouvel updating, la compagne de l'employée disparaît littéralement sans laisser d'explication. Que lui est-il arrivé ? Est-ce un départ volontaire ? Une énième mise à jour lui a-t-elle été fatale ? C'est ce que va chercher à savoir l'employée chargée des plaintes. 

 

Michael DeForge © Atrabile

Au premier coup d’œil sur la couverture de l'album, on pourrait être freiné par le chaos qui y règne et une esthétique formelle qui nous est étrangère. Passons outre nos appréhensions premières pour découvrir sous les couleurs acidulées, une technocratie empreinte d'une logique hyper progressiste vide de sens. Une société où les visages et les corps en perpétuelle métamorphose aboutissent à une fragmentation de l'identité. On pense à l'excellente série Severance mettant en scène un monde du travail devenu absurde où la déshumanisation, la dissociation identitaire et le culte du secret nourrissent une dictature technologique glaçante aux allures de groupe sectaire. 

Michael DeForge © Atrabile

Mais au sein de cette technocrature oppressante qui pourrait être le prolongement radicalisé de l'univers de Dream data - dépeignant les politiques futures d'un géant d'Internet - l'employée se mue en enquêtrice et finit par découvrir un îlot de résistance salutaire qu'elle ne soupçonnait pas. 

Michael DeForge © Atrabile

Entre science-fiction et pamphlet politique, Michael DeForge nous plonge dans une réflexion vertigineuse sur une société mue par l'idéologie mortifère d'une humanité augmentée au service exclusif de la performance et d'une efficacité factice qui bouleverse l'espace-temps. Un monde idéal qui se révèlera finalement liberticide et dépersonnalisant.

 

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